Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/531

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protectrices nocturnes des cités : moins épouvantables sont le cimier de Mars, la chevelure des Euménides, l’horrible Gorgone, quand, à leur suite, l’air se peuple de fantômes qui entraînent après eux les armées. C’est un jeu pour lui quand les troupeaux effrayés s’échappent des étables, et que les jeunes taureaux fuient, renversant les halliers.

Ce cri arrive au roi. Fuyant les spectres livides qui troublaient son sommeil, Cyzique se lève tout à coup. (3, 60) Il voit, sur le seuil de la porte, Bellone, le flanc nu, faisant sonner à chaque pas son armure, balayant les plafonds de sa triple aigrette, et l’appelant aux armes. L’insensé la suit à travers la ville, et court à son dernier combat. Tel Rhétus, qui, les yeux obscurcis par l’ivresse et voyant double le mont Pholoé, et son antre s’agrandir outre mesure, se précipite contre Hercule et Thésée ; ou tel Athamas, revenant de la chasse, chante Diane et les forêts, porte Léarque sur ses épaules, et fait détourner d’horreur les yeux des Thébains. (3, 70) Déjà Cyzique est aux portes de la ville ; il entraîne la garde, qui la première va seconder sa fureur ; d’autres accourent ensuite, à mesure que l’alarme se répand de maison en maison.

Mais la peur a cloué sur leurs bancs les Argonautes. Ils se sentent défaillir, à l’aspect de ce rivage qu’ils ne reconnaissent plus, de ces dangers, de ces casques, de ces boucliers étincelants ; ils se demandent si cet ennemi qui veille sous les armes, si les Colchidiens eux-mêmes ne viennent pas les attaquer. Tout à coup un trait, lancé avec vigueur, passe en sifflant, au-dessus du vaisseau, et les avertit d’apprêter leurs armes. Chacun s’arme au hasard (3, 80) de ce qui lui tombe sous la main. Jason saisit son casque, et s’écrie : « Agrée, ô mon père, ce premier combat de ton fils ; et vous, guerriers, supposez que vos vœux s’accomplissent, et que vous êtes à Colchos. » Soudain pareil à Mars, quand ce dieu du haut du ciel se précipite au milieu des Thraces, animé par les cris, les clairons homicides de ce peuple héroïque, Jason, plein d’ardeur, s’élance sur le rivage. Ses compagnons le suivent ; ils avancent corps contre corps, boucliers contre boucliers, offrant ainsi un rempart d’airain que ni Pallas armée de son égide, ni le bras de Jupiter, ni les coursiers de Mars, ni la Crainte, ni la Terreur, ne sauraient ébranler. (3, 91) Telle on voit la masse épaisse des nuages rassemblés par Jupiter résister tour à tour au souffle impuissant du Zéphyre et du Notus, et glacer d’effroi les mortels, incertains sur quelle mer, sur quelle campagne éclatera l’orage.

Cependant les malheureux habitants de Cyzique poussent de grands cris, lancent des quartiers de rocs, des torches enflammées, et font siffler leurs frondes. L’immobile phalange, insensible au bruit, comprime son ardeur, jusqu’à ce qu’ils aient épuisé leur première décharge. Mopsus et Eurytus aperçoivent d’abord l’armure étincelante et la grande ombre de Corythus ; (3, 100) celui-ci les voit à son tour, et soudain à l’éclat du fer il recule, comme le pâtre à l’aspect d’un fleuve enflé par les orages, et roulant des arbres