Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/55

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ment un être qui sent ? Est-ce parce que les pierres, le bois et la terre, quoique mêlés ensemble, sont incapables de produire le sentiment et la vie ? (2, 891) Mais ici rappelle-toi nos arrangements : je ne veux pas dire que tous les corps générateurs enfantent au hasard et sur-le-champ des êtres organisés pour sentir. Il importe, je le répète, que les éléments de ces êtres aient telle grandeur, telle forme, tels mouvements, tel ordre, telle position ; et ces qualités manquent au bois, aux mottes de terre. Néanmoins ces corps, quand ils sont gâtés par les pluies, engendrent des vermisseaux, parce que leurs atomes, (2, 900) bouleversés alors par une circonstance nouvelle, forment un assemblage de telle sorte que des animaux doivent en naître.

Lorsque, sur la foi de quelques hommes, on donne pour élément à la sensibilité des atomes sensibles, on rend aussi les atomes mous ; car le sentiment fait partie des entrailles, des nerfs, des veines, toutes choses molles et que nous voyons formées de substance périssable.

Supposons, pourtant, que ces atomes puissent éternellement durer. Toujours est-il que tu dois les croire sensibles, ou comme partie des êtres, ou comme tout pareil aux êtres entiers. (2, 910) Or, les parties sont incapables de sentir : il le faut bien, puisque chacune repousse les impressions des autres, puisque la main détachée du corps et tous les membres à part ne conservent aucune sensibilité. Reste donc à faire des atomes autant de petits êtres. Mais alors peut-on les appeler éléments des choses ? Éviteront-ils les sentiers de la mort, eux qui sont des êtres contenus dans un être mortel, et qui ressemblent à la masse ?

Fût-ce même possible, leur concours, leur assemblage (2, 920) produira seulement un amas et une multitude de corps animés : comme les hommes, les troupeaux et les bêtes sauvages, dans leurs unions, ne peuvent engendrer que leur espèce. De cette façon, tout devrait être sensible comme nous.

Si les atomes se dépouillent de leur sensibilité propre, mais que les assemblages acquièrent une sensibilité nouvelle, pourquoi leur avoir donné ce que tu leur ôtes ? D’ailleurs, et cet exemple nous a déjà servi de refuge, puisque nous voyons les œufs se changer en oiseaux vivants, les vers éclore du sol qui fermente, gâté par des pluies intempestives, (2, 930) il est clair que le sentiment peut naître de corps insensibles.

Peut-être dira-t-on que les atomes engendrent la sensibilité qui leur manque par un changement produit avant de se manifester, comme les êtres qui naissent. Mais il me suffira de faire voir et de prouver que toute naissance vient après un assemblage, que rien ne change sans un assemblage nouveau. Le sentiment ne se forme donc pas avant le corps sensible : car les atomes jusque-là demeurent épars (2, 940) dans les airs, dans l’eau, dans le sol, ou dans ce que le sol enfante ; du moins, si la matière se rassemble, les mouvements harmonieux de la masse, nécessaires à la vie, ne sont pas encore réglés, et eux seuls