Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/598

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qu’éloignés, vomissent déjà moins de flammes.

« Allons, dit-elle ensuite, reprenez ce casque et ces aigrettes que la Discorde vient de toucher de sa main infernale. Quand vous aurez labouré le champ du dieu Mars, vous les jetterez au milieu des guerriers qui en sortiront, et tous aussitôt s’armeront les uns contre les autres. Alors mon père frémira d’étonnement, et peut-être aussi me regardera-t-il. » En achevant ces mots, elle pense tout à coup au départ des Argonautes, à leur vaisseau qui fait voile sans elle. Accablée de douleur, elle saisit la main de Jason, et dit d’une voix craintive :

« Souvenez-vous, je vous en conjure, souvenez-vous de moi ; et moi, croyez-en mes paroles, je ne vous oublierai jamais. Quand vous serez loin d’ici, de grâce, dites-moi vers quelle partie du ciel je dois porter mes yeux ? Mais aussi, en quelque lieu que vous soyez, quel que soit le nombre de vos années, ayez souci de moi ; rappelez-vous ce que vous êtes maintenant ; avouez-vous à vous-même le service que la jeune fille vous a rendu, et n’en rougissez pas... Malheureuse que je suis ! vos yeux n’ont pas une larme ! Pensez donc que bientôt je serai victime de la vengeance de mon père ; qu’un royaume, une épouse, des enfants vous attendent, et que moi je mourrai abandonnée ! Mais je ne me plains pas, et tout mon bonheur sera de mourir pour vous. »

Aussitôt Jason, qu’elle avait déjà vaincu par la puissance mystérieuse de ses enchantements, et qu’elle pénétrait de l’amour qui la dévorait elle-même, lui répond :

« Jason partir sans vous, vivre sans vous quelque part, le croyez-vous ? Rendez-moi plutôt à mon tyran ; reprenez ces dons qui me sont odieux. Quel motif m’attacherait à la vie, et quel désir aurais-je de revoir mon pays, si mon père Éson ne peut vous embrasser la première, si la Grèce, à l’aspect de cette toison resplendissante qui sera votre conquête, n’accourt au rivage se prosterner à vos pieds ? Pesez ces paroles, et laissez-vous fléchir, vous que déjà je nomme mon épouse. Par vous, par votre puissance plus grande que celle du ciel et de l’enfer, par les astres dociles à votre voix, par ces moments si dangereux pour nous-mêmes, je jure que si jamais je perds le souvenir de cette nuit et de vos bienfaits, si vous regrettez jamais d’avoir abandonné un trône, une patrie, une famille, et de me trouver infidèle, que je maudirai le jour de ma victoire sur les taureaux et sur les féroces guerriers issus de la terre. Et alors incendiez mon propre palais, usez contre un ingrat de toutes les ressources de votre art, privez-moi de toute assistance humaine ; et si vous trouvez quelque châtiment plus affreux encore, faites-le moi subir ; puis, au milieu de toutes ces horreurs abandonnez-moi. » Les Furies l’entendent ; elles promettent de punir le parjure et de venger l’amour outragé.

Après cet entretien, tous deux restent encore immobiles. Tantôt ils lèvent des yeux brillants d’amour et de jeunesse, des yeux dont les regards pleins de douceur s’attirent et se confondent : tantôt ils les baissent avec une pudeur embarrassée, et retombent dans le silence. Médée