Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
LIVRE DEUXIÈME

Leur cache l’action du corps le plus visible ?
Vois là-haut ces brebis ; d’une marche insensible
Elles vont, tondant l’herbe au penchant du coteau ;
Leur instinct les attire à l’endroit le plus beau
Et le mieux emperlé par la jeune rosée.
Puis les agneaux, repus, de leur tête frisée
Se choquent, doucement rebelles. Jeux perdus !
Qu’a gardé le lointain de ces traits confondus ?
Une blancheur qui dort sur les prés qui verdoient.
Ailleurs, des légions par masse épaisse ondoient ;
Elles couvrent les champs ; et sur leurs flancs guerriers
De piques hérissés, un vol de cavaliers
D’élans impétueux ébranle au loin la plaine :
Le feu des glaives monte au ciel ; la terre, pleine
D’une splendeur d’airain, sous les pieds des soldats
340Tremble, et l’écho frappé par la voix des combats
La rejette en clameur aux voûtes étoilées.
Il est tel mont, pourtant, d’où l’éclair des mêlées
Semble aux yeux une tache immobile, lueur
Fixée en quelque point du sol inférieur.

Poursuivons. Revenant aux germes, aux principes,
Je cherche ce qu’ils sont, et je note en leurs types
Une diversité native ; non pas tant
Qu’il existe entre tous un désaccord constant ;
Mais nul corps de tout point n’est à l’autre identique :
La forme des facteurs ne peut donc être unique.
Quel hasard eût tissé, dans la trame sans fin,
D’un fil toujours pareil un si changeant dessin ?