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VIII
PRÉFACE

n’ont pas été les plus funestes à la nature humaine. Celles qui l’ont interdit, comme le christianisme, prêt à naître au moment où disparaissait Lucrèce, non seulement ne l’ont pas supprimé, mais, en rabaissant la terre et la vie, l’ont implicitement autorisé et légitimé. La philosophie enseignée par Lucrèce n’a jamais préconisé le suicide : Démocrite s’est tué, Épicure est mort plein de jours. Affaire de tempérament, contagion d’un certain milieu social, suggestions de la misère ou de la nécessité, il n’y a rien de plus dans le suicide.

La méthode scientifique ne permet sur la mort volontaire aucune opinion préconçue. Elle voit la mort telle qu’elle est, fait brutal aussi dépourvu de sens que la chute d’une pierre ou l’évolution d’un astre. Loin d’y pousser les hommes, elle concentre sur ce court et unique espace de la vie toutes les énergies de leur personne éphémère. Mais, tout en conseillant la lutte, c’est-à-dire le contraire de la résignation et du découragement, elle n’accuse pas à tout propos de lâcheté ceux qui ont cherché dans le néant le recours suprême et l’inaltérable paix. Parfois même il lui arrive d’honorer la force virile qui, du même coup, arrache aux fatalités conjurées leur arme et leur victime.

Lucrèce donc s’est tué s’il l’a voulu. Qu’importe ? Il vivra toujours. La véritable vie des grands hommes n’est-elle pas leur action sur la postérité ? Et leur véritable histoire, celle de leurs sentiments et de leurs pensées ?