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LIVRE TROISIÈME

Avec le bouclier son bras gauche est gisant ;
Il n’en tient compte ; il pare ; il surgit, brandissant
L’autre main qu’il n’a plus et qui tenait l’épée,
Ou bien cherche un appui sur sa cuisse coupée,
Quand son pied sur le sol crispe ses doigts mourants.
Telle tête arrachée aux membres expirants,
Chaude encor, gardera les couleurs de la vie,
Les yeux ouverts, jusqu’à ce que l’âme ravie
Tout entière s’écoule et fuie avec le sang.

Lorsqu’un serpent sur toi s’avance, menaçant,
Dardant sa langue, enflant sa gorge, s’il arrive
Que tu puisses trancher sa croupe convulsive,
Tu verras sur le sol d’un sang noir imbibé
Sauteler chaque anneau sous le glaive tombé,
Le haut du corps se tordre et, cherchant sa blessure,
Tourner contre lui-même une ardente morsure.
Nous faudra-t-il admettre une âme par tronçon ?
680Plusieurs pour un seul corps ? Avec plus de raison,
Je dis que l’âme en vie était une, indivise ;
Qu’avec celle du corps son unité se brise ;
Que tous deux sont mortels enfin, puisque le fer
Tranche et divise l’âme aussi bien que la chair.
Et puis, comment, si l’âme est d’immortelle essence
Et s’insinue en nous le jour de la naissance,
Les vestiges de l’âge et des actes passés
Dans un contour nouveau se sont-ils effacés ?
Si l’âme, en renaissant, à ce point se transforme
Que du séjour quitté tout souvenir s’endorme,
Cela, je crois, diffère assez peu de la mort.