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DE LA NATURE DES CHOSES

Tout objet, quel qu’il soit, que ton caprice appelle ?
Est-ce donc qu’épiant l’instant de ton désir,
L’image à point nommé se vient faire saisir ?
Est-ce que, terre, ciel, mer, bataille, assemblée,
Pompe ou banquet, soudain la Nature zélée
Prépare tout et met les choses sous les noms ;
Tandis qu’à l’endroit même où nous la retenons,
De tout autres pensers en d’autres cœurs l’attendent ?

Lorsque dans nos sommeils les fantômes descendent,
Que leurs corps, en mesure apportés mollement,
Alternent de leurs bras le souple mouvement
Et le pas juste et sûr que leur jambe dessine,
Est-ce qu’un art inné, profond, les prédestine
À leurs nocturnes jeux ? N’est-il pas vrai plutôt
Qu’on voit cela d’un trait, comme on entend un mot,
Qu’un éclair de durée évoque une série
D’instants décomposés par notre rêverie ?
C’est ainsi qu’à toute heure en tout endroit présents,
820Des spectres de tout genre arrivent à nos sens ;
Tant leur rapidité double leur multitude !
Et si fins ! quel esprit les surprend sans étude ?
S’il n’est pas prêt, tout passe ; il n’a pu rien saisir.
Mais il est toujours prêt, car jamais le désir
Ne lui peut suggérer rien que l’espoir n’achève ;
L’avenir aisément se réalise en rêve.
Les yeux même, observant des tissus délicats,
Ne font-ils pas effort, ne se tendent-ils pas ?
Sans quoi, rien de précis, rien de sûr dans la vue :
Il n’est corps si prochain, matière si connue,