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LIVRE CINQUIÈME

Une heure, ô Memmius, en verra la ruine.
D’un coup dans le néant croulera la machine
Qui depuis si longtemps brave le faix des jours.

Certes, c’est chose neuve, étrange ; et nul discours
N’imposera sans peine à la foi réfractaire
Ce désastre futur du ciel et de la terre :
Telle est, lorsqu’elle échappe à la prise des mains,
À l’examen des yeux, seuls assurés chemins
Qui portent l’évidence au temple où l’esprit veille,
Le sort de toute chose étrangère à l’oreille,
Dont l’homme entend le nom pour la première fois.
Je parlerai pourtant. Peut-être qu’à ma voix
Avant peu répondra celle du fait lui-même.
Peut-être entendras-tu sonner l’heure suprême,
— Ah ! puisse le destin qui régit l’univers,
Écartant ce malheur, s’en fier à mes vers !
La raison me suffit, à défaut de ta foudre ! —
L’heure du spasme affreux qui doit réduire en poudre,
Dans les convulsions d’horribles craquements,
120Ce globe, secoué jusqu’en ses fondements !

Avant que le destin par ma bouche prononce
Son arrêt, plus sacré cent fois qu’une réponse
D’Apollon, et plus sage, en dépit du trépied
Où sous l’arbre du dieu la Sybille s’assied,
J’affermirai ton cœur par des notions saines
Contre les préjugés dont nous traînons les chaînes ;
De peur qu’instruit à voir dans la terre et la mer,
La lune et le soleil et les feux de l’éther,