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LIX
PRÉFACE

Lucrèce, de deux facultés qu’on prétend inconciliables, l’observation et la poésie.

Ne croyez pas, d’ailleurs, que nous abandonnions le texte, et que nous fassions bon marché de l’exactitude. Nous n’avons pas de goût pour les belles infidèles : nous n’ajoutons rien et ne retranchons rien ; mais nous cherchons à tout rendre, l’image surtout et le mot décisif, la forme et la couleur, la marche et encore l’allure, nous proposant pour but idéal l’évocation du corps même et non le travestissement de la silhouette. Un ancien, un Romain parlant français, tel veut être le Lucrèce que nous présentons au public.

Et cependant, la comparaison la plus superficielle notera entre notre interprétation et les versions ordinaires des différences considérables et constantes. Tel trait, noyé dans le courant égal de la prose, prend dans les vers un relief inattendu, il est détaché en vedette ou reporté à la conclusion. Telle épithète semble avoir disparu ; au contraire, elle s’accuse plus fortement en verbe, en substantif, en proposition incidente. Parfois une interversion ajoute à la clarté. Certaines formules explétives, répétées à satiété, se condensent ou se diversifient. Sont-ce là des concessions et, pour parler net, des délayages, des chevilles, des faiblesses ? Dans notre intention, dans notre conviction, ce sont là des procédés légitimes, en tout cas voulus, pour faire sortir l’esprit de la lettre. Le mot à mot n’explique rien ; c’est une dissection. Quant à nous, nous opérons en pleine vie, quelquefois au