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C’est en partant de ces considérations, qui sont l’A.B.C. du marxisme, que Rosa Luxembourg tire ses conclusions pour ce que doit être l’organisation socialiste. Cette organisation doit être susceptible de développer au maximum la conscience socialiste des travailleurs et leur permettre de s’instruire par l’expérience de leurs luttes. Cela implique au sein du Parti (tout cela vaut évidement aussi pour le mouvement syndical) un maximum de démocratie. Cependant, le mouvement socialiste a à combattre ; aussi faut-il que la démocratie coexiste avec une centralisation suffisante de l’action avec une discipline sans laquelle aucune action concertée n’est possible. Mais la centralisation et la discipline ne peuvent se concevoir que sur la base de la démocratie la plus large ; sans cette démocratie, le premier imbécile venu pourrait se sacrer lui-même « chef historique de la révolution mondiale », nommer et révoquer des « chefs » — tout aussi « historiques » — du prolétariat des différents pays, et ces chefs nationaux désigner à leur tour des sous-chefs régionaux et locaux sans se soucier le moins du monde de ce qu’en pensent les premiers intéressés : les travailleurs.

L’on voit que la démocratie prônée par Rosa Luxembourg repose sur un fondement bien plus solide que les fameuses « grues métaphysiques » dont se moquait Paul Lafargue. Elle est une condition sine que non de l’efficacité de la lutte de classe prolétarienne et de l’orientation socialiste de cette lutte. Puisque cette lutte ne peut devenir plus efficace et prendre une orientation socialiste de plus en plus consciente que proportionnellement au développement intellectuel des travailleurs, et que ce développement intellectuel a pour condition la liberté de critique et de discussion la plus large, la démocratie s’avère être la base indispensable de l’organisation socialiste.

Ces idées, Rosa Luxembourg les défend à la fois contre Lénine et contre l’aile réformiste de la social-démocratie. Si diamétralement opposées que paraissent les conceptions de Lénine et celles du réformisme, les unes et les autres sont encore imprégnées de cette idée du socialisme utopique de vouloir substituer à l’action propre des travailleurs la tout-puissance d’une élite façonnant et modelant à sa guise la masse des travailleurs comme de la « pâte à pétrir ». Et ceux qui liront attentivement la deuxième étude de cette brochure : Masse et Chefs, n’auront pas de peine à reconnaître, à la lumière de l’analyse de Rosa Luxembourg, que les conceptions léninienne et réformiste des rapports entre la masse et les chefs se rattachent étroitement à la conception bourgeoise.