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Cette circonstance modifie d’une manière particulière non seulement la question de la transplantation de la doctrine socialiste sur le sol russe, non seulement le problème de l’agitation, mais encore celui de l’organisation.

Dans le mouvement social-démocrate, à la différence des anciennes expériences du socialisme utopique, l’organisation n’est pas le produit artificiel de la propagande, mais le produit de la lutte de classe, à laquelle la social-démocratie donne simplement de la conscience politique.

Dans les conditions normales, c’est-à-dire là où la domination politique, entièrement constituée, de la bourgeoisie, a précédé le mouvement socialiste, c’est la bourgeoisie même qui a créé dans une large mesure les rudiments d’une cohésion politique de la classe ouvrière. « Dans cette phase, dit le Manifeste communiste, l’unification des masses ouvrières n’est pas la conséquence de leur propre aspiration à l’unité, mais le contre-coup de l’unification de la bourgeoisie ». En Russie, la social-démocratie se voit obligée de suppléer par son intervention consciente à toute une période du processus historique et de conduire le prolétariat, en tant que classe consciente de ses buts et décidée à les enlever de haute lutte, de l’état « atomisé », qui est le fondement du régime absolutiste, vers la forme supérieure de l’organisation. Cela rend particulièrement difficile le problème de l’organisation, non pas autant du fait que la social-démocratie doit procéder à cette organisation sans pouvoir faire état des garanties formelles qu’offre la démocratie bourgeoise, que parce qu’il lui faut, à l’instar de Dieu le Père, faire sortir cette organisation « du néant », sans disposer de la matière première politique qu’ailleurs la société bourgeoise prépare elle-même.

La tâche sur laquelle la social-démocratie russe peine depuis plusieurs années consiste dans la transition du type d’organisation de la phase préparatoire où, la propagande étant la principale forme d’activité, les groupes locaux et de petits cénacles se maintenant sans liaison entre eux, à l’unité d’une organisation plus vaste, telle que l’exige une action politique concertée sur tout le territoire de l’État. Mais l’autonomie parfaite et l’isolement ayant été les traits les plus accusés de la forme d’organisation désormais surannée, il était naturel que le mot d’ordre de la tendance nouvelle prônant une vaste union fût le centralisme. L’idée du centralisme a été le motif dominant de la brillante campagne menée pendant trois ans par l’Iskra pour aboutir au congrès d’août 1903 qui, bien qu’il compte comme deuxième congrès du Parti social-démocrate, en a été effectivement l’assemblée constituante. La même idée s’était emparée de la jeune élite de la social-démocratie en Russie.

Mais bientôt, au congrès même et encore davantage après le congrès, on dut se persuader que la formule du centralisme était