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taient les routiers d’une politique perfide, c’est à un assaut bien aléatoire et dangereux qu’il faut songer.

Maintenant la connexion est claire entre les « événements moraux » de ces jours derniers et les méthodes du réformisme. Le joyeux va-et-vient par-dessus le fossé qui sépare le camp du prolétariat de celui de ses ennemis, l’aimable commerce établi par la « libre critique », les « libres épanchements » et la « libre collaboration » des révisionnistes à la presse bourgeoise ont préparé le terrain, d’où nous avons vu surgir, entre autres efflorescences curieuses, le complot contre Mehring[1]. Une endosmose intellectuelle s’était établie entre la social-démocratie et le monde bourgeois, et les sucs vénéneux de la décomposition bourgeoise pouvaient pénétrer librement dans la circulation du corps du Parti prolétarien.

Hinc illæ lacrimæ. Voilà d’où viennent les contorsions de la presse bourgeoise, qui nous prédit que désormais la social-démocratie verra tarir l’affluence « d’universitaires » et de sympathies « éclairées ». Un journal libéral espère que le camarade Göhre (ci-devant pasteur protestant) comprendra maintenant qu’on le force à se démettre de son mandat de député, « la faute qu’il a commise » en adhérant à la social-démocratie[2].

La généreuse mentalité des libéraux conçoit évidemment qu’on peut « se tromper » en adhérant au socialisme, comme on se trompe à la Bourse en spéculant sur les cafés au lieu de spéculer sur le coton. Ces gens ne se doutent même pas que par ce jugement d’expert, ils avouent leur habitude à eux de mettre la politique à peu près au même niveau que la prostitution.

Or, si des universitaires qui seraient venus à nous avec cette mentalité se décidaient maintenant à quitter nos rangs, nous pourrions en toute sérénité les voir rejoindre les sirènes libérales. Que ceux qui se ressemblent s’assemblent. Nous craindrions seulement qu’en voulant profiter ainsi des soldes de la « maison concurrente » le pauvre parti littéral ne réussisse pas à faire des affaires brillantes, il serait étonnant que les « universitaire » doués de l’esprit pratique que notre libéral leur suppose, aillent se mettre aux gages d’un parti en pleine faillite.

Quant à notre mission intellectuelle, que les junkers tremblent de nous voir dans l’impossibilité de remplir après que la « main calleuse » s’est « insurgée contre les universitaires », nous pouvons rassurer ces hobereaux épris de culture : bientôt, et sans

  1. Franz Mehring (1846-1919), le brillant et fougueux co-directeur de la Neue Zeit, révolutionnaire intransigeant (et, pendant la guerre, spartakiste) n’avait adhéré au socialisme qu’après une longue carrière de journaliste dans les rangs du nationalisme. En cueillant des citations dans ses écrits anciens et en les assaisonnant de racontars scandaleux, les revisionnistes tentèrent de représenter la meilleure plume du socialisme allemand comme un aventurier véreux.
  2. Paul Göhre est devenu ministre des cultes en Prusse, en 1919.