Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/36

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— Vous n’êtes pas content ? lui demanda le seigneur.

— Je ne suis pas fâché non plus ; je n’en mourrai pas, pour un mauvais souper, j’y suis assez habitué. Et il alla se coucher là-dessus.

Le lendemain, les choses se passèrent de la même manière. Il travailla à couper de l’ajonc, jusqu’au coucher du soleil, toujours surveillé par le gros chien, et, pendant qu’il mangeait sa soupe, le soir, il fallut encore sortir avec les enfants, puis aller se coucher sans le moindre morceau de viande. Le troisième jour aussi il coupa de l’ajonc, comme les deux jours précédents, et s’en revint, le soir, de mauvaise humeur. Comme les deux jours précédents aussi, les enfants ne le laissèrent pas manger sa soupe tranquille, et, quand il rentra, après les avoir accompagnés dehors, il n’y avait encore rien sur la table. Mais, cette fois, il réclama, car il avait faim.

— Vous n’êtes donc pas content ? lui demanda le seigneur.

— Non certainement, répondit-il.

— C’est bien ; vous savez nos conditions ?

Et on l’étendit sur le ventre sur une table, après l’avoir déshabillé, puis on lui enleva un ruban de peau rouge, depuis le sommet de la tête jusqu’aux talons, et on le renvoya alors sans le sou.

Le pauvre Janvier revint chez sa mère, triste et malade. Il raconta tout à son frère Février, et celui-ci voulut à son tour tenter l’aventure, bien résolu à venger son frère. Il se rendit donc au même château et s’engagea au service du seigneur, aux mêmes conditions que Janvier. Les deux premiers jours se passèrent pour lui absolument comme pour son frère : travail sur la lande, sous la surveillance du chien, importunités des enfants et tristes soupers. Mais le troisième jour, en se rendant à la lande, il se dit : « Il faut que cela finisse ! » Et, en effet, après avoir travaillé pendant une demi-heure environ, il voulut se reposer et fumer une pipe. Le chien grogna et montra les dents ; mais, d’un vigoureux coup de faucille, il lui coupa le cou. Quand la servante vint, à midi, lui apporter à dîner, elle fut bien étonnée de voir le chien mort et Février qui dormait à l’ombre d’un vieux chêne. Elle courut annoncer la chose à son maître. Quand Février retourna au château, au coucher du soleil, le seigneur lui dit :

— Tu as tué mon chien, malheureux !

— Oui, je l’ai tué, répondit-il ; est-ce que vous n’êtes pas content ?

— Oh ! pour un chien, ce n’est pas la peine de se fâcher ; viens souper, dit le seigneur, en dissimulant sa colère.

Pendant que Février mangeait sa soupe, dans la cuisine, les enfants vinrent encore l’importuner, en disant :

— J’ai envie ! Je veux sortir !…

— Eh bien ! allez au diable ! s’écria Février impatienté, et il les jeta, par la fenêtre, dans la cour.