Page:Luzel - Soniou Breiz Izel vol 1 1890.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendre attentif. S’il s’agit d’aller en pèlerinage aux lieu et place d’un mort, elle se traîne sur ses genoux nus, à l’entour de la chapelle votive, en ayant soin de procéder à l’encontre du soleil, car le tour dans le sens de l’astre ne se fait que pour des vivants. Mais, c’est un volume qu’il faudrait écrire, si l’on voulait consigner toutes les pratiques étranges dont Marguerite Philippe possède la clef. Voyageant sans cesse, de sanctuaire en sanctuaire, elle chemine dans toutes les directions, fait la navette entre le littoral du Nord et les monts d’Arrée. Elle s’arrête aux fermes proches des divonnes, cause en route avec les gens qui passent, et constamment se renseigne, surtout depuis que M. Luzel l’a élevée au titre, dont elle est très fière, de collaboratrice. Périodiquement, elle le rejoint, à l’endroit où il lui donne rendez-vous. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de faire connaissance avec elle, à Kercabin, en Plouëc, dans une grave chàtellenie moderne, hantée de souvenirs féodaux et peuplée, la nuit, dit-on, de spectres gracieux ou terribles. Il parait qu’un de mes ancêtres habita jadis cette demeure, un de ces ancêtres dont on ne se vante pas. Une bonne m’a affirmé qu’on entend encore parfois le pas de son cheval sonner sur le pavé de la cour[1]. Le manoir est aujourd’hui


1 Il s’appelait le Margéot. Je ne résiste pas au plaisir de citer, à propos de ce personnage, une page d’un volume peu connu de M. Luzel, et qui mériterait beaucoup de l’être. Ce livre intitulé « Veillées Bretonnes » a paru chez Mauger, à Morlaix. Voici cet extrait : « Margéot avait habité le château de Kercabin, il y avait de cela cinquante ou soixante ans. C’était un homme d’une grande force physique, violent et emporté, craint et redouté comme la peste, dans tout le pays, et sur lequel il courait d’étranges bruits. On disait qu’il avait vendu son âme au diable, pour avoir de l’argent, et qu’il égorgeait quelquefois des petits enfants, enlevés dans les campagnes, quand il les trouvait seuls. Aujourd’hui encore, dans les environs de Pontrieux, quand les mères veulent faire taire les enfants qui pleurent, ou réprimer chez eux un acte d’indocilité, elles les menacent de Margéot, comme ailleurs on les menace de Croquemitaine ou

  1. 1 Il s’appelait le Margéot. Je ne résiste pas au plaisir de citer, à propos de ce personnage, une page d’un volume peu connu de M. Luzel, et qui mériterait beaucoup de l’être. Ce livre intitulé « Veillées Bretonnes » a paru chez Mauger, à Morlaix. Voici cet extrait : « Margéot avait habité le château de Kercabin, il y avait de cela cinquante ou soixante ans. C’était un homme d’une grande force physique, violent et emporté, craint et redouté comme la peste, dans tout le pays, et sur lequel il courait d’étranges bruits. On disait qu’il avait vendu son âme au diable, pour avoir de l’argent, et qu’il égorgeait quelquefois des petits enfants, enlevés dans les campagnes, quand il les trouvait seuls. Aujourd’hui encore, dans les environs de Pontrieux, quand les mères veulent faire taire les enfants qui pleurent, ou réprimer chez eux un acte d’indocilité, elles les menacent de Margéot, comme ailleurs on les menace de Croquemitaine ou de Barbe-Bleue. Entr’autres crimes, ou l’accusait de la mort d’un douanier. Je ne sais quelle raison on donne du meurtre, si Margéot faisait de la contrebande, ou s’il avait quelqu’autre sujet de haine et de veugeance contre le douanier ; mais aussitôt le crime commis, il monta, dit-on, sur un excellent cheval qu’il avait, et que l’on disait aussi être un présent de l’enfer, et se rendit à Saint-Brieuc, bride abattue. C’était de nuit ; Saint-Brieuc est à douze ou treize lieues de Kercabin. La justice informa, fit une enquête, et sur quelques indices et de nombreuses présomptions, Margéot fut mis en accusation. Mais, grâce à la rapidité et aux jarrets de fer de son cheval, il parvint à établir un alibi, et fut acquitté. Il mourut peu de temps après, à la grande joie de tout le pays, et quelques vieilles femmes prétendent que deux diables rouges enlevèrent son corps, pendant la veillée de mort, et que le cercueil que l’on enterra, dans le cimetière de Plouëc, était vide. Depuis lors, la nuit, on entend souvent un cheval arriver bride abattue dans la cour de Kercabin ; et quand les domestiques se présentent pour recevoir le voyageur attardé et mettre son cheval à l’écurie, ne trouvant ni cavalier, ni cheval, ils rentrent en maugréant et en disant : « C’est encore ce diable de Margéot! »