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A.-F. HEROLD


C’est un usage saint, inviolable, antique ;
Et la religion jointe à la politique
Le maintient jusqu’ici dans ces États divers
Que traverse le Gange et qu’entourent les mers.

Tels sont les premiers vers de la tragédie. Le Grand Bramine les adresse à un Bramine, qui sort aussitôt. Le Grand Bramine reste seul avec un jeune Bramine.

                                C’est vous dont le zèle
Conduira de sa mort la pompe solennelle,


dit le Grand Bramine. Mais le jeune Bramine n’est guère flatté de l’honneur qu’on lui fait. Les Européens assiègent la ville,

Et c’est pour qu’aujourd’hui la guerre et ses fureurs
Fassent de ce rivage un théâtre d’horreurs !
Au milieu des dangers, au milieu des alarmes
Que répand dans nos murs le tumulte des armes.
Nous préparons encore un spectacle cruel
Qui me plonge d’avance en un trouble mortel :
Nous dressons ces bûchers consacrés par l’usage
Qui font du Malabar fumer au loin la plage :
Non, je dois l’avouer, je ne pourrai jamais
Accoutumer mes yeux à de pareils objets.
Eh ! ne peut-on sauver la victime nouvelle ?

Le Grand Bramine n’admet point que la veuve soit sauvée. Et d’ailleurs, si elle vivait,

Où serait son espoir ? sans honneur et sans biens.
Devenue et l’esclave et le rebut des siens,
Vile à ses propres yeux dans cet état servile,
Ou plutôt dans l’horreur de cette mort civile,
Elle ne traînerait que des jours languissants.
S’abreuverait de pleurs et mourrait plus longtemps.

Et les deux Bramines engagent une longue discussion : le Grand Bramine trouve on ne peut plus légitime l’empire de la coutume, il justifie toutes les mortifications et tous les sacrifices ; le jeune Bramine plaide la cause de l’indulgence à soi-même :

Pardonnez ; j’avais cru qu’exposés aux malheurs,
Sans appeler à nous la mort ni les douleurs,
Ce devait être assez pour la constance humaine
De supporter les maux que la nature amène.
D’inexplicables lois par de secrets liens
Sur la terre ont uni les maux avec les biens ;