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DE M. DE JUSSIEU. V

par une autre face. La partie de ses revenus qui n’était pas al)sorbée par les dépenses courantes, il la déposait dans un coffre. Il lui fallut un jour faire une dépense extraordinaire, il ouvrit le coffre et y trouva quarante mille francs ; puis le coffre fut refermé pour n’être plus rouvert qu’après sa mort, et l’on y retrouva une somme à peu près égale.

£h bien, on peut dire qu’il traita ses idées comme sa fortune. Il les laissa s’accumuler de même avec régularité, avec suite, mais avec une sorte d insouciance ; enfin il y puisa un jour, et traça le tableau de ses Ordres naturels, monument immortel de son génie ; puis il les laissa s’accumuler encore ; et, à sa mort, il en légua le dépôt à son neveu, comme la partie la plus précieuse de son héritage.

Bernard j)assait presque tout son temps à méditer. Habituellement, il méditait assis. I.’oncle et le neveu travaillaient tout le jour dans la même chambre, sans se parler. Le soir, le neveu faisait la lecture à son oncle, qui lui communiquait, à son tour, ses vues et ses réflexions.

On sent que les impressions reçues auprès d’un houune de cette trempe, ne devaient guère moins influer sur le caractère du jeune Jussieu que sur son génie. Aussi, même simplicité dans les habitudes, même constance dans le travail, même persévérance dans le déeloppement d’une grande idée et de la même idée : jamais deux hommes ne semblèrent plus faits pour se continuer l’un l’autre, et n’être, si l’on peut ainsi dire, que les deux âges, les deux phases successives, d’une même vie.

Au bout de cinq ans passés auprès de son oncle, dans des études si actives et dans un commerce si intime, le jeune Laurent, quoique à peine âgé de vingt-deux ans et demi, était