Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 52.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XVIII

Je comprends, Monsieur, et je respecte pleinement le conflit si naturel qui s’établit entre le cœur d’un bon père et celui d’un bon fils. Tout ce que je puis vous dire, quant à moi, c’est que, depuis que j’ai pris votre fils avec moi, je l’apprécie de plus en plus. J’ai vu peu de jeunes gens aussi bien doués que lui pour la culture des sciences. Il a une grande instruction, un esprit des plus inventifs, du goût et de l’ardeur pour les questions de théorie et d’applications ; et avec cela un caractère aimable et serviable qui le fait aimer de tous ses camarades et de tous ceux qui le connaissent. Vous comprenez, Monsieur, qu’il me serait bien difficile, dans ces conditions, de ne pas l’encourager et de ne pas croire de mon devoir de lui donner mon affection et mon appui dans une voie où je le crois destiné à réussir et où un bel avenir lui est réservé ». Dans cette circonstance, comme dans beaucoup d’autres semblables, son affectueuse bonté n’a pas trompé Claude Bernard. Son élève aimé de 1876 a largement tenu sa promesse c’est, notre confrère M. d’Arsonval, son successeur actuel dans sa chaire de Médecine du Collège de France.

Par un juste retour, cette famille l’entourait de respectueuse sympapathie et de soins affectueux, le soutenant aux heures de sounrance, le consolant aux jours de découragement. Ceux-ci ne lui ont pas été épargnés. Si sa vie domestique, en effet, est restée cachée à tous les regards, on a pu deviner qu’elle était traversée par des épreuves morales, qu’à ses souffrances physiques venaient s’ajouter trop souvent des préoccupations douloureuses, qu’enfin le pauvre cher grand homme n’avait pas trouvé à son foyer l’accord de sentiments et d’idées si nécessaire au bonheur. C’est là sans doute ce qui mettait sur son visage, sans en altérer la douce sérénité ; un reflet de mélancolie, auquel s’ajoutait l’expression grave que donne le travail continu de la pensée. Et cependant, comme il eût mérité d’être heureux ! Dans le commerce ordinaire de la vie, il se montrait le plus facile et le plus bienveillant des hommes. Les jouissances vulgaires ne l’ont jamais tenté. Celui qui remplissait le monde de son nom menait