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AVENTURE DU CHEVALIER DE MASTYNS

« Ma foi, la sorcière n’a pas dit toute la vérité, car j’aurai quarante ans dans cinq jours, je pars demain et il n’y a guère d’apparence d’un coup de feu en pleine paix. »

La chaise de poste dans laquelle il devait partir était arrêtée devant son logis, une charrette l’accrocha, brisa l’essieu ; il fallait plusieurs heures pour le raccommoder. Le chevalier de Mastyns se désolait devant sa porte ; quelques officiers de la garnison passèrent en ce moment ; ils allaient à la chasse à l’affût. Le chevalier l’aimait beaucoup ; il se décida à les suivre pour employer le temps qu’il lui fallait attendre.

On se plaça ; la chasse commença, le chevalier était seul en habit brun. Un des chasseurs l’oubliant, ou l’ignorant, et se fiant sur le vêtement blanc de ses camarades, tira sur quelque chose de foncé qu’il vit remuer dans un buisson. Le chevalier de Mastyns reçut plusieurs chevrotines dans les reins ; on le transporta à la ville.

La blessure quoique très grave n’était pas mortelle ; on le saigna plusieurs fois ; il se rétablit assez pour que le chirurgien répondit de sa guérison et fixât même le jour où il pourrait partir, à une époque assez rapprochée. On lui apporta les lettres arrivées pour lui pendant son état de souffrance. Il en ouvrit une de sa mère ; elle lui annonçait que sa femme était accouchée, plutôt qu’on ne comptait, d’un fils bien portant :

« Ah ! s’écria-t-il, la maudite sorcière aura eu raison ! Je ne verrai pas mon fils ! »

Soudain les convulsions le prirent ; le tétanos suivit, et, douze heures après, il expira dans les bras de mon père.

Les médecins déclarèrent que l’impression morale avait seule causé une mort que l’état de sa blessure ne