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JULES DE POLIGNAC

puissants ; il les employa à se faire nommer chevalier de Saint-Maurice. Je n’ai jamais pu comprendre qu’un homme de son nom, et dans sa position, ait eu la fantaisie de posséder ce petit bout de ruban.

L’ordre de l’Annonciade est un des plus illustres et des plus recherchés de l’Europe ; il n’a que des grands colliers. Ils sont excellences. Le roi de Sardaigne fait des excellences, comme ailleurs le souverain crée des ducs ou des princes ; seulement ce titre n’est jamais héréditaire. Quelques places, aussi bien que le collier de l’Annonciade, donnent droit à le porter. Il entraîne toutes les distinctions et les privilèges qu’on peut posséder dans le pays. Je conçois, à la rigueur, quoique cela ne soit guère avantageux pour un étranger, qu’on recherche un pareil ordre ; mais la petite croix de Saint-Maurice, dont les chevaliers pavent les rues, m’a semblé une singulière ambition pour Jules. Au reste, quand on a bien voulu, s’appelant monsieur de Polignac, devenir prince du Pape, il n’y a pas de puérile vanité qui puisse surprendre. Cela ne l’empêchait pas de concevoir de très grandes ambitions.

Quelque accoutumés que nous fussions à ses absurdités, il trouvait encore le secret de nous étonner. Les jeunes gens de l’ambassade restaient ébahis des thèses qu’il soutenait, il faut le dire, avec une assez grande facilité d’élocution ; il n’y manquait que le sens commun.

Un jour, il nous racontait qu’il désirait fort que le Roi le nomme ministre, non pas, ajoutait-il, qu’il se crût plus habile qu’un autre, mais parce que rien n’était plus facile que de gouverner la France. Il ne ferait au Roi qu’une seule condition : il demanderait qu’il lui assurât pendant dix ans les portefeuilles des affaires étrangères, de la guerre, de l’intérieur, des finances et surtout de la police. Ces cinq ministères remis exclusivement entre ses mains,