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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Un jour, il partit tout de bon pour sa dangereuse expédition ; malheureusement pour lui, il devait être suivi par messieurs de Polignac. Ceux-ci agirent différemment. Ils firent cent visites d’adieux, prirent congé de tout le monde, en se chargeant de commissions pour Paris, montrant la liste des personnes qui les attendaient et qui, probablement, ne s’en doutaient point. Ce n’était pas dans la pensée que leur voyage, d’après cette publicité, parut sans conséquence ; du tout, ils avouaient partir en secret. C’était leur façon de conspirer.

La veille de leur départ, je dînai avec eux à la campagne chez Édouard Dillon. Il fallait, pour en revenir, traverser une petite lande ou commune. Messieurs de Polignac étaient à cheval ; ils firent station sur la commune, et s’amusèrent à arrêter les voitures qui y passèrent pendant une heure ; la mienne fut du nombre. Ils demandaient la bourse ou la vie et s’éloignaient ensuite avec des éclats de rire, disant que c’était un avant-goût du métier qu’ils allaient faire. Le lendemain, cette espièglerie était la nouvelle et la joie de toute leur société. Ces niaiseries ne vaudraient pas la peine d’être rapportées si elles ne montraient d’avance le caractère de ce Jules de Polignac, si fatal au trône et à lui-même. Quoique bien jeune alors, tout l’honneur de cette conduite lui appartient. Son frère Armand, aussi bête que Jules est sot, a toujours été mené par lui.

Nous ne tardâmes pas à apprendre l’arrestation de ces conspirateurs à liste et, bientôt après, la triste fin de monsieur le duc d’Enghien. Son père en fut, il faut le dire, atterré ; il l’apprit d’une façon horrible. Monsieur le duc de Bourbon était censé habiter Wanstead, très magnifique château que monsieur le prince de Condé avait loué aux environs de Londres car, tout en se battant très bien à l’armée dite de Condé, Son Altesse n’y avait pas