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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

qu’on jetât les cheveux au feu devant elle pour qu’il n’en restât aucune trace.

Ses enfants ayant l’indiscrétion d’avoir des cheveux d’un rouge ardent, elle les avait pris en horreur et ne pouvait les envisager. Avec une quantité de travers qui venaient d’un grain de folie héréditaire, cultivée par la gâterie de madame de Luynes, madame de Chevreuse avait des qualités, le cœur très haut placé, et des locutions originales, sans être prétentieuses, pour dire des choses communes de la vie qui la rendaient toujours piquante et souvent fort aimable quand elle le voulait.

C’est la seule personne qui ait été forcée d’entrer à la Cour impériale. Aussi celles qui avaient envie d’y arriver ne manquaient pas de la citer pour prouver que ce sort était inévitable. Rien pourtant n’était si facile en se tenant sur la réserve. Les exils aussi, à part deux ou trois, occasionnés par des vengeances particulières, ne tombaient que sur des personnes d’une hostilité criarde et tracassière qui devenaient incontinent souples et suppliantes.

Madame de Balbi a fait exception à cette règle. Exilée de Paris par une méprise évidente, elle n’a jamais voulu permettre qu’on fit la plus petite démarche pour l’expliquer, ni pour demander grâce. Elle est allée tranquillement s’établir à Montauban, y a vécu dans la meilleure intelligence avec les autorités, évitant par là les tracasseries qu’elles auraient pu lui susciter, et y est restée jusqu’à la Restauration, avec autant de calme que de dignité, ayant moins souffert de l’exil que les personnes qui s’agitaient pour le faire finir.

On m’a bien souvent demandé dans ce temps-là :

« Comment n’êtes-vous pas exilée ?

— Mais c’est que je ne cours pas après, répondais-je, et que je n’en ai pas peur. »

En effet, ma maison était une de celles où on parlait