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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/123

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LA FIN DU SOLDAT.

ne s’attendrissent en voyant un jeune officier, à peine au sortir de l’enfance, suivre en sanglotant la bière de son père, général de division, victime de la terrible guerre que nous soutenions, Masséna vint le lendemain avant le jour dans la chambre où gisait mon père, et, me prenant par la main, il me conduisit sous un prétexte quelconque dans un salon éloigné, pendant que sur son ordre douze grenadiers, accompagnés seulement d’un officier et du colonel Sacleux, enlevèrent la bière en silence et allèrent la déposer dans la tombe provisoire, sur les remparts du côté de la mer. Ce ne fut qu’après que cette triste cérémonie fut terminée, que le général Masséna m’en instruisit en m’expliquant les motifs de sa décision… Non, je ne pourrai exprimer le désespoir dans lequel cela me jeta !… Il me semblait que je perdais une seconde fois mon pauvre père que l’on venait d’enlever à mes derniers soins !… Mes plaintes furent vaines, et il ne me restait plus que d’aller prier sur la tombe de mon père. J’ignorais où elle était, mais mon ami Colindo avait suivi de loin le convoi, et il me conduisit… Ce bon jeune homme me donna en cette circonstance les preuves d’une touchante sympathie, quand chaque individu ne pensait qu’à sa position personnelle.

Presque tous les officiers d’état-major de mon père avaient été tués ou emportés par le typhus. Sur onze que nous étions avant la campagne, il n’en restait plus que deux : Le commandant R*** et moi ! Mais R*** ne s’occupait que de lui et, au lieu de servir d’appui au fils de son général, il continua d’habiter seul en ville. M. Lachèze m’abandonna aussi !… Il n’y eut que le bon colonel Sacleux qui me donna quelques marques d’intérêt ; mais le général en chef lui ayant donné le commandement d’une brigade, il était constamment hors des murs, occupé à repousser les ennemis. Je restai donc seul dans