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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/255

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MARCHE SUR VIENNE.

puis m’empêcher de dire que l’envoi du corps de Mortier sur la rive gauche n’était pas suffisamment motivé et fut une faute qui pouvait avoir les plus fâcheux résultats. En effet, le Danube, le plus grand des fleuves de l’Europe, est, à partir de Passau, d’une telle largeur en hiver, qu’à l'œil nu on n’aperçoit pas un homme d’une rive à l’autre ; il est en outre très profond et fort rapide. Le Danube, auquel s’appuyait la gauche de l’armée française, offrait donc une garantie de parfaite sécurité. Il suffisait de couper les ponts à mesure qu’on s’avançait vers Vienne pour mettre à l’abri de toute attaque le flanc gauche de la grande armée marchant sur la rive droite, d’autant plus que cette attaque n’aurait pu être faite que par l’archiduc Ferdinand, venant de Bohême. Mais celui-ci, fort heureux d’avoir échappé aux Français devant Ulm, avec fort peu de troupes, presque toutes de cavalerie, ne pouvait avoir ni l’envie ni les moyens de venir les attaquer en franchissant un obstacle tel que le Danube, dans lequel il aurait couru risque de se faire jeter, tandis qu’en détachant deux de ses divisions isolées au delà de cet immense fleuve, Napoléon les exposa à être prises ou exterminées. Ce malheur, qu’il était facile de prévoir, fut sur le point de se réaliser.

Le feld-maréchal Koutousoff, qui attendait avec résolution les Français dans la forte position de Saint-Pœlten, parce qu’il les supposait suivis en queue par l’armée de Mack, ayant appris la capitulation de cette armée devant Ulm, ne se trouva plus assez fort pour résister seul à Napoléon, et ne voulant pas non plus compromettre ses troupes pour sauver la ville de Vienne, il résolut de mettre l’obstacle du Danube entre lui et le vainqueur : il passa le fleuve sur le pont de Krems, qu’il fit brûler derrière lui.

À peine arrivé sur la rive gauche avec toute son armée,