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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/303

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JACTANCE DES PRUSSIENS.

noblesse, l’armée, la population entière, demander la guerre à grands cris. Le Roi se laissa entraîner ; mais comme, bien que décidé à rompre la paix, il conservait encore un faible espoir d’éviter les hostilités, il paraît que dans sa réponse à l’Empereur il s’engageait à désarmer, si celui-ci ramenait en France toutes les troupes qu’il avait en Allemagne, ce que Napoléon ne voulait faire que lorsque la Prusse aurait désarmé, de sorte que l’on tournait dans un cercle vicieux d’où l’on ne pouvait sortir que par la guerre.

Avant mon départ de Berlin, je fus témoin du délire auquel la haine de Napoléon porta la nation prussienne, ordinairement si calme. Les officiers que je connaissais n’osaient plus me parler ni me saluer ; plusieurs Français furent insultés par la populace ; enfin les gendarmes de la garde noble poussèrent la jactance jusqu’à venir aiguiser les lames de leurs sabres sur les degrés en pierre de l’hôtel de l’ambassadeur français !… Je repris en toute hâte la route de Paris, emportant avec moi de nombreux renseignements sur ce qui se passait en Prusse. En passant à Francfort, je trouvai le maréchal Augereau fort triste ; il venait d’apprendre la mort de sa femme, bonne et excellente personne qu’il regretta beaucoup, et dont la perte fut sentie par tout l’état-major, car elle avait été excellente pour nous.

Arrivé à Paris, je remis à l’Empereur la réponse autographe du roi de Prusse. Après l’avoir lue, il me questionna sur ce que j’avais vu à Berlin. Lorsque je lui dis que les gendarmes de la garde étaient venus aiguiser leurs sabres sur l’escalier de l’ambassade de France, il porta vivement la main sur la poignée de son épée et s’écria avec indignation : « Les insolents fanfarons apprendront bientôt que nos armes sont en bon état !… »