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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/317

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LE CURÉ D’IÉNA.

Prussiens comme les ennemis de son roi et de sa patrie, crut pouvoir donner à Napoléon le moyen de les chasser de son pays, en lui indiquant un petit sentier par lequel des fantassins pouvaient gravir la rampe escarpée du Landgrafenberg. Il y conduisit donc un peloton de voltigeurs et des officiers de l’état-major. Les Prussiens, croyant ce passage impraticable, avaient négligé de le garder. Mais Napoléon en jugea différemment, et, sur le rapport que lui en firent les officiers, il y monta lui-même, accompagné du maréchal Lannes, et dirigé par le curé saxon. L’Empereur ayant reconnu qu’il existait entre le haut du sentier et la plaine qu’occupait l’ennemi, un petit plateau rocailleux, résolut d’en faire le point de réunion d’une partie de ses troupes, qui déboucheraient de là comme d’une citadelle pour attaquer les Prussiens.

L’entreprise eût été d’une difficulté insurmontable pour tout autre que pour Napoléon, commandant à des Français ; mais lui, faisant prendre sur-le-champ quatre mille outils de pionniers dans les caissons du génie et de l’artillerie, ordonna que tous les bataillons travailleraient à tour de rôle, pendant une heure, à élargir et adoucir le sentier, et lorsque chacun d’eux aurait fini sa tâche, il irait se former en silence sur le Landgrafenberg, pendant qu’un autre le remplacerait. Les travaux étaient éclairés par des torches, dont la lueur se confondait aux yeux de l’ennemi avec celle de l’incendie d’Iéna. Les nuits étant fort longues à cette époque de l’année, nous eûmes le temps de rendre cette rampe accessible non seulement aux colonnes d’infanterie, mais encore aux caissons et à l’artillerie, de sorte que, avant le jour, les corps des maréchaux Lannes, Soult, et la première division d’Augereau, ainsi que la garde à pied, se trouvèrent massés sur le Landgrafenberg. Jamais l’expression massée ne fut plus exacte, car la poitrine des hommes