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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/364

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

rôti bien chaud, et lorsque la bête se jeta sur lui pour le mordre, il lui présenta le gigot qu’elle saisit entre ses dents ; mais s’étant brûlé les gencives, le palais et la langue, la jument poussa un cri, laissa tomber le gigot et dès ce moment fut soumise à Woirland qu’elle n’osa plus attaquer. J’employai le même moyen et j’obtins un pareil résultat. Lisette, docile comme un chien, se laissa très facilement approcher par moi et par mon domestique ; elle devint même un peu plus traitable pour les palefreniers de l’état-major, qu’elle voyait tous les jours ; mais malheur aux étrangers qui passaient auprès d’elle !… Je pourrais citer vingt exemples de sa férocité, je me bornerai à un seul.

Pendant le séjour que le maréchal Augereau fit au château de Bellevue, près de Berlin, les domestiques de l’état-major, s’étant aperçus que lorsqu’ils allaient dîner, quelqu’un venait prendre les sacs d’avoine laissés dans l’écurie, engagèrent Woirland à laisser près de la porte Lisette détachée. Le voleur arrive, se glisse dans l’écurie, et déjà il emportait un sac, lorsque la jument, le saisissant par la nuque, le traîne au milieu de la cour, où elle lui brise deux côtes en le foulant aux pieds. On accourt aux cris affreux poussés par le voleur, que Lisette ne voulut lâcher que lorsque mon domestique et moi l’y contraignîmes, car, dans sa fureur, elle se serait ruée sur tout autre. La méchanceté de cet animal s’était accrue depuis qu’un officier de housards saxons, dont je vous ai parlé, lui avait traîtreusement fendu l’épaule d’un coup de sabre sur le champ de bataille d’Iéna.

Telle était la jument que je montais à Eylau, au moment où les débris du corps d’armée du maréchal Augereau, écrasés par une grêle de mitraille et de boulets, cherchaient à se réunir auprès du grand cimetière. Vous devez vous souvenir que le 14e de ligne était resté seul