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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/371

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ÉPISODE DE LA BATAILLE D’EYLAU.

laquelle j’étais assis, je me maintins à cheval, mais un nouveau danger m’attendait.

La neige venait de recommencer à tomber, et de gros flocons obscurcissaient le jour, lorsque, arrivé près d’Eylau, je me trouvai en face d’un bataillon de la vieille garde, qui, ne pouvant distinguer au loin, me prit pour un officier ennemi conduisant une charge de cavalerie. Aussitôt le bataillon entier fit feu sur moi… Mon manteau et ma selle furent criblés de balles, mais je ne fus point blessé, non plus que ma jument, qui, continuant sa course rapide, traversa les trois rangs du bataillon avec la même facilité qu’une couleuvre traverse une haie… Mais ce dernier élan ayant épuisé les forces de Lisette, qui perdait beaucoup de sang, car une des grosses veines de sa cuisse avait été coupée, cette pauvre bête s’affaissa tout à coup et tomba d’un côté en me faisant rouler de l’autre !

Étendu sur la neige parmi des tas de morts et de mourants, ne pouvant me mouvoir d’aucune façon, je perdis insensiblement et sans douleur le sentiment de moi-même. Il me sembla qu’on me berçait doucement… Enfin, je m’évanouis complètement, sans être ranimé par le grand fracas que les quatre-vingt-dix escadrons de Murat allant à la charge firent en passant auprès de moi et peut-être sur moi ! J’estime que mon évanouissement dura quatre heures, et lorsque je repris mes sens, voici l’horrible position dans laquelle je me trouvais : j’étais complètement nu, n’ayant plus que le chapeau et la botte droite. Un soldat du train, me croyant mort, m’avait dépouillé selon l’usage, et voulant m’arracher la seule botte qui me restât, me tirait par une jambe, en m’appuyant un de ses pieds sur le ventre ! Les fortes secousses que cet homme me donnait m’ayant sans doute ranimé, je parvins à soulever le