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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/38

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

avait émigré. Mme de Rességuier s’était retirée avec son fils dans les appartements les plus éloignés, et mon père avait ordonné qu’on eût les plus grands égards pour sa malheureuse position.

La maison de mon père était très fréquentée ; il recevait tous les jours et devait faire beaucoup de dépenses, car, bien qu’un général de division reçût alors dix-huit rations de tous genres, et que ses aides de camp en eussent aussi, cela ne pouvait suffire ; il fallait acheter une foule de choses, et cependant l’État ne donnait alors à l’officier général comme au simple sous-lieutenant que huit francs par mois en numéraire, le surplus de la solde étant payé en assignats, dont la valeur diminuait chaque jour, et comme mon père était très généreux, invitait de nombreux officiers du camp, avait de nombreux domestiques (qu’on appelait alors serviteurs), dix-huit chevaux, des voitures, une loge au théâtre, etc., etc…, il dépensait les économies qu’il avait faites au château de Larivière, et ce fut du moment de sa rentrée au service que date la diminution de sa fortune.

Quoiqu’on fût au plus fort de la Terreur, que la subordination fût très affaiblie en France, d’où le bon ton semblait éloigné pour toujours, mon père savait si bien en imposer aux nombreux officiers qui venaient chez lui, que la plus parfaite politesse régnait dans son salon comme à sa table.

Parmi les officiers employés au camp, mon père en avait pris deux en grande prédilection ; aussi les invitait-il plus souvent que les autres.

L’un, nommé Augereau, était adjudant général, c’est-à-dire colonel d’état-major ; l’autre était Lannes, simple lieutenant de grenadiers dans un bataillon de volontaires du département du Gers. Ils sont devenus maréchaux de l’Empire, et j’ai été leur aide de camp. Je vous donnerai