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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/56

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

nement entre les mains d’un homme ferme et déjà illustré par les services rendus à l’État. On reconnaissait aussi que ce chef ne pouvait être qu’un militaire ayant une grande influence sur l’armée, capable, en réveillant l’enthousiasme national, de ramener la victoire sous nos drapeaux et d’éloigner les étrangers qui s’apprêtaient à franchir les frontières.

Parler ainsi, c’était désigner le général Bonaparte ; mais il se trouvait en ce moment en Égypte, et les besoins étaient pressants. Joubert venait d’être tué en Italie. Masséna, illustré par plusieurs victoires, était un excellent général à la tête d’une armée active, mais nullement un homme politique. Bernadotte ne paraissait ni assez capable ni assez sage pour réparer les maux de la France. Tous les regards des novateurs se portèrent donc sur Moreau, bien que la faiblesse de son caractère et sa conduite assez peu claire au 18 fructidor inspirassent quelques craintes sur ses aptitudes gouvernementales. Cependant il est certain que, faute de mieux, on lui proposa de se mettre à la tête du parti qui voulait renverser le Directoire, et qu’on lui offrit de lui confier les rênes de l’État avec le titre de président ou de consul. Moreau, bon et brave guerrier, manquait de courage politique, et peut-être se défiait-il de ses propres moyens pour conduire des affaires aussi embrouillées que l’étaient alors celles de la France. D’ailleurs, égoïste et paresseux, il s’inquiétait fort peu de l’avenir de sa patrie et préférait le repos de la vie privée aux agitations de la politique ; il refusa donc, et se retira dans sa terre de Grosbois pour se livrer au plaisir de la chasse qu’il aimait passionnément.

Abandonnés par l’homme de leur choix, Sieyès et ceux qui voulaient avec lui changer la forme du gouvernement, ne se sentant ni assez de force ni assez de