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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/66

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

pouvait servir leurs projets, que mon père doutait encore lorsque nous entrâmes à Lyon par le faubourg de Vaise. Toutes les maisons étaient illuminées et pavoisées de drapeaux, on tirait des fusées, la foule remplissait les rues au point d’empêcher notre voiture d’avancer ; on dansait sur les places publiques, et l’air retentissait des cris de : « Vive Bonaparte qui vient sauver la patrie !… » Il fallut bien alors se rendre à l’évidence et convenir que Bonaparte était vraiment dans Lyon. Mon père s’écria : « Je pensais bien qu’on le ferait venir, mais je ne me doutais pas que ce serait sitôt : le coup a été bien monté ! Il va se passer de grands événements. Cela me confirme dans la pensée que j’ai bien fait de m’éloigner de Paris : du moins, à l’armée, je servirai mon pays sans prendre part à aucun coup d’État qui, tout nécessaire qu’il paraisse, me répugne infiniment. » Cela dit, il tomba dans une profonde rêverie, pendant les longs moments que nous mîmes à fendre la foule, pour gagner l’hôtel où notre logement était préparé.

Plus nous approchions, plus le flot populaire était compact, et en arrivant à la porte, nous la vîmes couverte de lampions et gardée par un bataillon de grenadiers. C’était là que logeait le général Bonaparte, auquel on avait donné les appartements retenus depuis huit jours pour mon père. Celui-ci, homme fort violent, ne dit mot cependant, et lorsque le maître d’hôtel vint d’un air assez embarrassé s’excuser auprès de lui d’avoir été contraint d’obéir aux ordres de la municipalité, mon père ne répondit rien, et l’aubergiste ayant ajouté qu’il avait fait faire notre logement dans un hôtel fort bon, quoique de second ordre, tenu par un de ses parents, mon père se contenta de charger M. Gault d’ordonner aux postillons de nous y conduire. Arrivés là, nous trouvâmes notre courrier. C’était un homme très vif qui,