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mémoires du maréchal joffre

allemande, mais oublieuse des leçons de 1870, qui avaient montré que la défensive passive est la mère de la défaite.

A partir de 1890, notre stratégie devint moins timide. Un événement capital venait, en effet, de révolutionner la fortification, c'était l'apparition en 1885 de l'obus-torpille ; les expériences entreprises au fort de la Malmaison, à partir de l'année suivante démontrèrent que nos fortifications de l'Est n'étaient plus en état de résister au nouvel engin. Dès lors le mur élevé à grands frais entre nos quatre grandes places fortes, Belfort, Épinal, Toul et Verdun n'était plus suffisant pour protéger le pays. On fut donc amené, nos voies ferrées s'étant d'ailleurs considérablement améliorées, à demander aux armées de campagne une attitude moins passive. Massées en grande partie derrière les trouées réservées dans notre rideau défensif, en particulier dans la région Charmes-Neufchâteau entre les places de Toul et d'Épinal, elles se tenaient prêtes à défendre ces défilés artificiels et à contre attaquer l'adversaire s'il venait à forces ces défenses.

Mais, à la suite de la guerre anglo-boër, c'est-à-dire vers 1900, toute une série de fausses doctrines, certaines soutenues par les plus brillantes personnalités militaires comme le général de Négrier, vinrent enlever à nos officiers le faible sentiment offensif qui venait de faire son apparition dans nos doctrines de guerre, et ruiner dans l'esprit de l'armée sa confiance dans ses chefs et dans ses règlements. Se basant sur le système employé avec succès au Transvaal par lord Roberts en face des Boërs, excellents tireurs mais ignorants de toute manœuvre, figés dans une défensive inerte, le général de Négrier proclama l'impuissance de toute action de vive force, se déclara l'ennemi des attaques dites décisives et lança la fameuse théorie de l'inviolabilité des fronts. Pour lui et pour le général Kessler, l'une des plus éminentes personnalités de l'époque, le comble de l'art consistait à éviter la bataille et à rechercher le succès dans un enveloppement obtenu par une extension de front. On ne tenait pas compte, quand on défendait