Page:Ménard - Poèmes et Rèveries d’un paien mistique, 1895.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lui. Qe vous importe ce qe je suis, pourvu qe je vous réponde ?

Moi. Je ne puis discuter sans savoir au nom de qoi on m’ataque ; vous me conaissez, et je ne vous conais pas ; la partie n’est pas égale ; prenez une étiquète.

Lui. Mon cher monsieur, il n’i a dans le monde qe des rapports, et tout dépend du point de vue. Pour mon père, je suis un fils ; pour mon fils, je suis un père ; pour mon domestiqe, je suis un maître ; pour le roi, je suis un sujet, qi paye l’impôt sans l’avoir voté ; pour mon enemi, je suis un scélérat ; pour mon ami, je suis un ome avec leqel on ne se gène pas ; pour vous, qi me faites l’oneur de discuter avec moi, je suis un adversaire ; apelez moi donc l’Adversaire : voilà l’étiquète demandée.

Moi. Cela ne se dit-il pas Satan, en ébreu ?

Lui. L’ébreu est une langue morte, soyons de notre temps ; vous voyez bien qe je n’ai pas le pied fourchu.

Moi. Les costumes changent, mais les mœurs ne changent guère, et vous ètes toujours ergoteur. Vous contestez l’axiome de Descartes, je veus le défendre contre vous. Je sais parfaitement q’il i a en nous plusieurs aspects, mais je n’ai pas besoin de les embrasser tous pour définir le moi : c’est un être pensant.

Lui. Pourqoi ne dites-vous pas plutôt : c’est la pensée de l’ètre ? Votre raison est-elle distincte de la miène, ou une mème lumière éclaire-t-èle les esprits comme une vie uniqe anime tous les corps ? L’intelligence vous est prètée pour un temps, come la force et la jeunesse, come l’air et le soleil. Prenez-en votre part ; ce qi pense aujourdui en vous, pen-