Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/116

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Je me souviens que le jour du procès, nous allâmes déjeuner, rapidement, chez Dréher, au Châtelet (petit point d’histoire). Nous tenions là une sorte de conseil de guerre et prenions nos dernières dispositions pour la bataille qui allait se livrer. « Surtout, recommandait Sembat, pas de bêtises ! »

Un point sur lequel nous fûmes immédiatement d’accord, c’était que la plaidoirie de Sembat constituerait une véritable charge contre Clemenceau, alors président du Conseil. Justement, par ses attaques répétées, par ses boutades semées dans des articles étincelants de L’Humanité, Sembat s’était fait une réputation journalistique extraordinaire. Édouard Drumont, un connaisseur, prétendait qu’il avait trouvé là un merveilleux filon. La vérité, c’est que Sembat ne pardonnait pas à l’ex-dreyfusard et rédacteur en chef de L’Aurore, la désinvolture avec laquelle ce vieux polichinelle venait de renier ses idées.

Après tout ce qu’on attendait de ce libéral libertisant, qui avait tant écrit, tant parlé sur la liberté individuelle et qui, grimpé au pouvoir, se mit à emplir les prisons, on avouera qu’il y avait vraiment motif à indignation. Seulement Sembat, tout en s’indignant, trouvait le moyen de rire et de faire rire. Et cela aux dépens du vieux dont on redoutait, pourtant, l’esprit sarcastique. Blague contre rosserie ! Ironie contre méchanceté ! Certes, à cette époque, Marcel Sembat fut de ceux qui, par leur verve endiablée, les traits aiguisés dont ils le criblaient, firent le plus de mal à Clemenceau.

Il faut dire que le futur Perd-la-Victoire goûtait les joies d’une impopularité sans limites. Il avait dressé contre lui non seulement la classe ouvrière, mais tout ce que le pays comptait d’esprits indépendants. Haineux et vindicatif, il ne cessait de peupler les geôles. Les