Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/155

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sorte de sentiment vaniteux et puéril en songeant que le tribun a pu, rapidement, m’accorder une pensée. Voici comment. L’assassin guettait dans la rue. Jaurès était assis à une table du Croissant, au milieu de ses amis. À ce moment, Dolié, du Bonnet Rouge, se dressa pour montrer à Jaurès la photographie de sa petite fille.

Cette photo avait ceci de particulier qu’elle était en couleur et sur verre. Il fallait l’examiner par transparence en pleine lumière.

— Curieux, dit Jaurès, comment avez-vous obtenu ça ?

C’était moi-même qui avais donné à Dolié l’adresse d’un photographe amateur, lequel venait précisément de découvrir une méthode nouvelle. Ce photographe se nommait Lanciot. C’était une manière de savant. Il avait commencé par expérimenter son procédé avec ma fillette, qui comptait à peu près quinze mois, comme celle de Dolié. Naturellement, je montrais la photo à tous ceux qui voulaient la voir. Et Dolié, alléché, s’était précipité chez Lanciot.

Il expliqua la chose à Jaurès qui s’exclama en riant :

— Ah !… C’est Méric qui… À propos, on ne le voit plus. Qu’est-ce qu’il devient ?

Eh bien ! ce n’était rien, ces quelques mots jetés en passant. Rien. J’en tire un orgueil insensé. Des années sanglantes et lugubres ont filé. J’ai mis ces paroles sous verre ; elles sont encadrées dans mon cœur. Je les porte en moi comme des reliques.

Jaurès et la guerre ! Le 28 juillet, nous conte Rappoport, qui s’est constitué l’historiographe du tribun, après l’avoir, ma foi, assez copieusement maltraité dans les