Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/103

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Je ferme la parenthèse et je saute sur un autre spécimen de la redoutable faune qui régnait alors rue de Buci.

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Le père Édouard.

C’était un homme d’un âge incertain, à la barbe broussailleuse, aux sourcils épais, aux yeux noirs d’un extraordinaire éclat. Il marchait, lui aussi, en boitillant, et traînait la jambe (c’est étonnant ce que ce milieu comptait d’éclopés et, particulièrement, de boiteux, de demi-boiteux, de jambes molles, de traîne-la-patte). Il suivait, avec un soin particulier, les réunions publiques d’avant-garde et il possédait un bagage sociologique et philosophique absolument étonnant. Par malheur, les idées ne se classaient pas très clairement dans sa caboche et son érudition était aussi embrouillée que sa barbe.

Il fallait l’entendre, des soirées entières, discuter des plus grands problèmes, depuis le matérialisme de l’histoire, l’organisation sociale de l’avenir, le sur-homme, jusqu’à la non-existence de Dieu et les énigmes de l’univers (voyez monisme ; en ce temps-là, nous ne jurions que par Hæckel). Il avait, généralement, comme partenaire, un jeune Oriental venu à Paris pour étudier la peinture. Celui-là, presque sans orthographe, s’était jeté pendant plusieurs hivers, à Sainte-Geneviève, sur les philosophes qu’il avait littéralement dévorés, engloutis. Rien ne le rebutait. Il avalait, sans préparation, Kant, Hegel,