Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/193

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En le voyant à la tribune, je respirai. Je me dis : « Ça va aller tout seul ! » Nous étions tellement d’accord, en effet. Nous avions les mêmes dégoûts, les mêmes haines. Nous avions combattu, côte à côte. Il ne nous avait pas suivis, soit ! Mais il était plus à plaindre qu’à blâmer.

Il parla. Et, au fur et à mesure qu’il lançait ses tirades embrouillées — euh… eh ! eh ! bée !… bée !… — je me sentais envahir par une douloureuse stupéfaction. Je ne pouvais en croire mes oreilles. J’entendais : « Traître à la Révolution… Agent de la bourgeoisie… Insulteur du prolétariat !… Vendu à la contre-révolution !… » Toute la lyre ! Ce sacré Daniel ne m’en épargna pas une. Le vocabulaire entier y passa.

C’était pourtant bien lui qui, retour de Moscou, ainsi que Cachin, me racontait, en déjeunant, de savoureuses histoires moscovites. Celle-ci par exemple. Un ouvrier français parti pour le paradis soviétique, avec l’espoir d’y travailler librement, avait été invité à s’enrôler dans les rangs de la Tcheka. Sur son refus, il devint suspect. On ne voulut plus l’employer, en dépit de son habileté professionnelle. On fit mieux. On lui enleva les trois pièces dans lesquelles il logeait avec sa femme et son enfant. Et l’infortuné, à la rue, sans toit, crevait de faim avec sa famille. Il pleurait. Il suppliait les délégués français de l’aider, de le faire rapatrier. En rappelant cette abominable chose, Cachin trépignait, trépignait…

Oui, c’était bien Daniel qui nous racontait l’odyssée de ce malheureux ouvrier français. Quelques semaines