Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/233

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de Barbès, de Raspail, de Blanqui — des radicaux farouches comme on en trouvait en ce temps-là et dont l’espèce est à peu près perdue. L’un se nommait le docteur Sigallas. L’autre était simplement mon père, ingénieur des Arts et Métiers, fils d’un proscrit de l’Empire qui fut condamné à dix années de forteresse en compagnie de Barbès, de Blanqui et de quelques autres pour crime de conspiration, affiliation aux carbonari, jacobinisme, etc. Comme on voit, mon père avait de qui tenir.

La République — la vraie — a ses traditions, ses vieilles familles, ses titres de noblesse.

Clemenceau, bien que chef du parti radical, venait de la chouannerie. Son sang républicain n’avait pas la couleur du sang rouge des révolutionnaires du Var. Psychologiquement, cet homme peut s’expliquer par son hérédité. Mais passons.

On se trouvait donc en présence d’une vacance sénatoriale. Mon père, dont l’existence entière fut de droiture exemplaire, dont l’honnêteté rigide ne s’est jamais démentie et qui, trop candidement peut-être, se refusait à envisager a priori la malfaisance humaine, eut alors l’idée malencontreuse de ressusciter politiquement l’homme que le Var avait vomi. Pour commencer, il consulta quelques amis :

— Vous avez tort, lui dit-on un peu partout. Clemenceau nous a fait déjà bien du mal. C’est un serpent que vous allez réchauffer dans votre sein…

Mon père refusa de se rendre à ces objections.

— Bah ! disait-il, Clemenceau est un excellent républicain. Il a failli, soit. On lui a fourni la leçon qu’il