Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/48

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raser et à se balafrer maladroitement un visage déjà constellé de bosses et d’apophyses où l’on distinguait du premier regard, sous le front indigent du pirate de la Savane, le nez rubescent, le trouble vaseux de la sclérotique et l’accentuation anormale des zygomas. Ajoutez à cela une petite toux opiniâtre et vous comprendrez que le pauvre bougre était la proie lamentable et désarmée d’une colonie de bacilles.

D’ordinaire, ces deux prêtres d’Apollon, objets des plus fines railleries, réjouissaient toute la rédaction. Mais je n’étais pas d’humeur à déguster leurs sornettes. Je guettais le téléphone. Ah ! l’horrible instrument de barbare supplice, heureusement aboli, qui nécessitait des stations interminables et des appels désespérés, provoquait de folles colères, finissait de détraquer nos nerfs ! Je n’empoignais le récepteur qu’avec une rage concentrée et je réclamais mon numéro comme on profère une menace. Pourtant le téléphone m’était, ce jour-là, plus sympathique, beaucoup plus sympathique. Parbleu ! J’attendais, non sans impatience, que retentît sa sonnerie, sa grinçante sonnerie, laquelle devait m’annoncer, à l’autre bout du fil, la présence, l’adorable présence de Juliette.

Eh ! oui ! De Juliette qui m’avait consenti un rendez-vous avant dîner, à condition que… car les femmes ne savent jamais exactement si elles seront libres et disposées. De Juliette dont ma pensée était emplie depuis quelques semaines — cette folle de Juliette, au rire clair, aux dents pointues de jeune louve, aux yeux pailletés de mystérieuses lueurs dansantes tels des feux follets…