Page:Méric - Les Bandits tragiques.djvu/107

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lir des boîtes de sardines ou des camemberts.

La prison ne les guérissait point. Ils reparaissaient, après des mois d’absence, plus fous qu’avant. Et les lectures recommençaient, ainsi que les chapardages. Mais ce n’était que le début. Rien de bien tragique encore. Au contraire, cette époque de la vie anarchiste abonde en anecdotes savoureuses.

Un vieux poète chansonnier, disparu depuis, je crois, Paul Paillette, l’auteur des Tablettes d’un Lézard, racontait comment, un dimanche, il était venu, rue Clignancourt, rendre visite à un illégaliste notoire. Le pauvre vieux n’avait pas mangé depuis la veille. Il se demandait comment il mangerait ce jour-là. Mais l’illégaliste le rassura tout de suite.

— Attends, dit-il, nous allons faire un excellent déjeuner. C’est moi qui te le promets.

Paillette le suivit jusqu’à la rue Ramey. Parvenu près d’un magnifique étalage de volaille et de primeurs, l’anarchiste fit signe au poète de se poster dans une encoignure. Deux minutes après il revenait avec, sous son veston, un poulet dodu et alléchant.

— Attends, dit-il encore. Et prends toujours ça.

Le poulet s’engouffra sous la pèlerine ample du poète. Un instant très court s’écoula. Apparition d’un deuxième poulet. Puis un troisième. Enfin, un joli petit panier de fraises. Le pauvre Paillette ne pouvait en croire ses yeux.