Page:Méric - Les Bandits tragiques.djvu/231

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faud. Ils me confient des larmes dans les yeux l’impression que leur a faite l’exécution.

Ils sont allés à la mort, dignement simplement, sans injures, sans pose non plus.

Alors, le médecin :

— Que pensez-vous, Dieudonné ?

— Ils ont fini de souffrir, docteur, et pour moi, ça commence.

— Mais, vous avez la vie, Dieudonné, vous êtes jeune. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

On ferme ma porte. Je m’efforce d’oublier. Je deviens d’une loquacité intarissable. Un des inspecteurs est justement un fervent de Jean-Jacques Rousseau duquel nous avons causé souvent. Je l’entreprends sur le droit de punir.

La pluie tombe au dehors.

— C’est pour laver la place Arago, dis-je.

Mon disciple de Rousseau proteste contre ces mots :

— Ils l’ont mérité, fait-il. Mais la décapitation est de trop. L’incarcération suffisait ; ils ne pouvaient plus nuire. Le sang appelle le sang. La haine appelle la haine. C’est aux plus forts à se montrer les plus sages.

Je ne parviens pas à me taire. Les inspecteurs m’écoutent. Et ils me répondent, intéressés tous deux.

Puis la promenade. Je passe devant les cellules de mes trois décapités. Elles sont grandes ouvertes. Je revois Callemin. Je le reverrai souvent. Je l’entendrai même. J’ai en mémoire un passage de « Cavalleria Rusticana » qu’il fredonnait volontiers.

Il faut que je fasse un effort terrible pour avancer. Les inspecteurs s’en aperçoivent et l’un d’eux me soutient par le bras.

(Souvenirs).