Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/357

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témoigne son désir de jouir du gouvernement républicain en démolissant les baraques où de pauvres gens vendent les journaux. Il crie Vive la Lanterne ! et il casse les réverbères. C’est à se voiler la face. Le danger est qu’il y a pour la bêtise une sorte d’émulation comme pour toute autre chose, et, entre les Chambres et le gouvernement, Dieu sait ce qui se pourra faire.

Je passe mon temps à déchiffrer des lettres du duc d’Albe et de Philippe II que m’a données l’impératrice. Ils écrivaient tous les deux comme des chats. Je commence à lire assez couramment Philippe II ; mais son capitaine général m’embarrasse encore beaucoup. Je viens de lire une de ses lettres à son auguste maître, écrite peu de jours après la mort du comte d’Egmont, et dans laquelle il s’apitoie sur le sort de la comtesse, qui n’a pas un pain après avoir eu dix mille florins de dot. Philippe II a une manière embrouillée et longue de dire les choses les plus simples. Il est très-difficile de deviner ce qu’il veut, et il me semble que son but constant est d’embarrasser son lecteur et de l’abandonner à son initiative. Cela faisait la paire d’hommes la plus haïssable qui ait