Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai déjeuné hier à Nice avec M. Thiers, qui est bien changé au physique depuis la mort de madame Dosne, et au moral nullement, à ce qu’il m’a semblé. Sa belle-mère était l’âme de sa maison ; elle lui avait fait un salon, lui amenait du monde, savait être aimable pour les gens politiques ou autres. Enfin, elle régnait dans une cour composée d’éléments très-hétérogènes, et avait l’art de les tourner tous au profit de M. Thiers. Aujourd’hui, la solitude a commencé pour lui ; sa femme ne se mêlera de rien.

En politique, j’ai trouvé Thiers encore plus changé ; il est redevenu sensé, à voir cette immense folie qui s’est emparée de ce pays-ci, et il s’apprête à la combattre, comme il faisait en 1849. Je crains qu’il ne se fasse un peu d’illusion sur ses forces. Il est beaucoup plus facile de crever les outres d’Éole que de les raccommoder et de les rendre air tight. Il me semble probable que nous allons à un combat ; le chassepot est tout-puissant et pourra donner à la populace de Paris une leçon historique, comme disait le général Changarnier ; mais saura-t-on s’en servir à propos ? Après s’en être servi, que pourra-t-on