Page:Mérimée - Carmen.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à une agitation qu’elle n’avait encore jamais éprouvée.

Toutes ses idées étaient confuses et se succédaient avec tant de rapidité, qu’elle n’avait pas le temps de s’arrêter à une seule. C’était comme cette suite d’images qui paraissent et disparaissent à la portière d’une voiture entraînée sur un chemin de fer. Mais, de même qu’au milieu de la course la plus impétueuse l’œil qui n’aperçoit point tous les détails parvient cependant à saisir le caractère général des sites que l’on traverse, de même, au milieu de ce chaos de pensées qui l’assiégeaient, madame de Piennes éprouvait une impression d’effroi et se sentait comme entraînée sur une pente rapide au milieu de précipices affreux. Que Max l’aimât, elle n’en pouvait douter. Cet amour (elle disait : cette affection) datait de loin ; mais jusqu’alors elle ne s’en était pas alarmée. Entre une dévote comme elle et un libertin comme Max, s’élevait une barrière insurmontable qui la rassurait autrefois. Bien qu’elle ne fût pas insensible au plaisir ou à la vanité d’inspirer un sentiment sérieux à un homme aussi léger que l’était Max dans son opinion, elle n’avait jamais pensé que cette affection put devenir un jour dangereuse pour son repos. Maintenant que le mauvais sujet s’était amendé, elle commençait à le craindre. Sa conversion,