Page:Mérimée - Carmen.djvu/195

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lui semblait un crime. Elle pria longtemps, mais elle ne s’en trouva pas soulagée. Je ne sais à quelle heure elle parvint à s’endormir ; ce qu’il y a de certain, c’est que, lorsqu’elle se réveilla, ses idées étaient aussi confuses que la veille, et qu’elle était tout aussi éloignée de prendre une résolution.

Pendant qu’elle déjeunait — car on déjeune toujours, madame, surtout quand on a mal dîné — elle lut dans un journal que je ne sais quel pacha venait de saccager une ville de la Roumélie. Femmes et enfants avaient été massacrés ; quelques philhellènes avaient péri les armes à la main ou avaient été lentement immolés dans d’horribles tortures. Cet article de journal était peu propre à faire goûter à madame de Piennes le voyage de Grèce auquel Max se préparait. Elle méditait tristement sur sa lecture, lorsqu’on lui apporta un billet de celui-ci. Le soir précédent, il s’était fort ennuyé chez madame Darsenay ; et, inquiet de n’y avoir pas trouvé madame de Piennes, il lui écrivait pour avoir de ses nouvelles, et lui demander à quelle heure elle devait aller chez Arsène Guillot. Madame de Piennes n’eut pas le courage d’écrire, et fit répondre qu’elle irait à l’heure accoutumée. Puis l’idée lui vint d’y aller sur-le-champ, afin de n’y pas rencontrer Max ; mais, par réflexion, elle trouva