Page:Mérimée - Carmen.djvu/222

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il était chez nous comme un ancien ami. C’était, je l’avoue, un plaisir tout nouveau pour moi que de causer avec un homme supérieur dont l’ignorance du monde faisait valoir la distinction d’esprit. Peut-être encore, car il faut te dire tout, et ce n’est pas à toi que je puis cacher quelque défaut de mon caractère, peut-être encore ma naïveté de coquetterie (c’est ton mot), que tu m’as souvent reprochée, s’est-elle exercée à mon insu. J’aime à plaire aux gens qui me plaisent, je veux être aimée de ceux que j’aime… À cet exorde, je te vois ouvrant de grands yeux, et il me semble t’entendre dire : Julie !… Rassure-toi, ce n’est pas à mon âge que l’on commence faire des folies. Mais je continue. Une sorte d’intimité s’est établie entre nous, sans que jamais, je me hâte de le dire, il ait rien dit ou fait qui ne convînt au caractère sacré dont il est revêtu. Il se plaisait chez moi. Nous causions souvent de sa jeunesse, et plus d’une fois j’ai eu le tort de mettre sur le tapis cette romanesque passion qui lui a valu un bouquet (maintenant en cendres dans ma cheminée) et la triste robe qu’il porte. Je n’ai pas tardé à m’apercevoir qu’il ne pensait plus guère à son infidèle. Un jour il l’avait rencontrée à la ville, et même lui avait parlé. Il me raconta tout cela, à son retour, et me dit sans émotion qu’elle était heu-