Page:Mérimée - Carmen.djvu/234

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personne s’en aperçût, et il était cinq heures du matin quand on servit le souper. Les gagnants se mirent à table avec grand appétit ; pour les autres, ils regardaient leurs assiettes vides. Peu à peu néanmoins, le vin de Champagne aidant, la conversation s’anima et devint générale.

— Qu’as-tu fait aujourd’hui, Sourine ? demanda le maître de la maison à un de ses camarades.

— Comme toujours, j’ai perdu. En vérité, je n’ai pas de chance. Je joue la mirandole ; vous savez si j’ai du sang-froid. Je suis un ponte impassible, jamais je ne change mon jeu, et je perds toujours !

— Comment ! dans toute la soirée, tu n’as pas essayé une fois de mettre sur la rouge ? En vérité, ta fermeté me passe.

— Comment trouvez-vous Hermann ? dit un des convives en montrant un jeune officier du génie. De sa vie, ce garçon-là n’a fait un paroli ni touché une carte, et il nous regarde jouer jusqu’à cinq heures du matin.

— Le jeu m’intéresse, dit Hermann, mais je ne suis pas d’humeur à risquer le nécessaire pour gagner le superflu.

— Hermann est Allemand ; il est économe, voilà tout,