Page:Mérimée - Carmen.djvu/236

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le fit sauter au plancher ; il s’emporta, se mit à faire ses comptes, et prouva à ma grand’mère qu’en six mois elle avait dépensé un demi-million. Il lui dit nettement qu’il n’avait pas à Paris ses villages des gouvernements de Moskou ou de Saratof, et conclut en refusant les subsides demandés. Vous imaginez bien la fureur de ma grand’mère. Elle lui donna un soufflet et fit lit à part cette nuit-là en témoignage de son indignation. Le lendemain elle revint à la charge. Pour la première fois de sa vie elle voulut bien condescendre à des raisonnements et des explications. C’est en vain qu’elle s’efforça de démontrer à son mari qu’il y a dettes et dettes, et qu’il n’y a pas d’apparence d’en user avec un prince comme avec un carrossier. Toute cette éloquence fut en pure perte, mon grand-père était inflexible. Ma grand’mère ne savait que devenir. Heureusement elle connaissait un homme fort célèbre à cette époque. Vous avez entendu parler du comte de Saint-Germain, dont on débite tant de merveilles. Vous savez qu’il se donnait pour une manière de Juif errant, possesseur de l’élixir de vie et de la pierre philosophale. Quelques-uns se moquaient de lui comme d’un charlatan. Casanova, dans ses mémoires, dit qu’il était espion. Quoi qu’il en soit, malgré le mystère de sa vie, Saint-