Page:Mérimée - Carmen.djvu/250

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lentes, une imagination désordonnée, mais il était toujours maître de lui et avait su se préserver des égarements ordinaires de la jeunesse. Ainsi, né joueur, jamais il n’avait touché une carte, parce qu’il comprenait que sa position ne lui permettait pas (il le disait lui-même) de sacrifier le nécessaire dans l’espérance d’acquérir le superflu ; et cependant il passait des nuits entières devant un tapis vert, suivant avec une anxiété fébrile les chances rapides du jeu.

L’anecdote des trois cartes du comte de Saint-Germain avait fortement frappé son imagination, et toute la nuit il ne fit qu’y penser. — Si pourtant, se disait-il le lendemain soir, en se promenant par les rues de Pétersbourg, si la vieille comtesse me confiait son secret ! si elle voulait seulement me dire trois cartes gagnantes !… Il faut que je me fasse présenter, que je gagne sa confiance, que je lui fasse la cour… Oui ! et elle a quatre-vingt-sept ans ! Elle peut mourir cette semaine, demain peut-être… D’ailleurs, cette histoire… y a-t-il un mot de vrai là dedans ? Non ; l’économie, la tempérance, le travail, voilà mes trois cartes gagnantes ! C’est avec elles que je doublerai, que je décuplerai mon capital. C’est elles qui m’assureront l’indépendance et le bien-être.

Rêvant de la sorte, il se trouva dans une des grandes