Page:Mérimée - Carmen.djvu/308

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Les traits du meurtrier sont effrayants. Une troupe effarée de Bohémiens l’entoure. Sur le Kourgâne même, à ses pieds, ils creusent une fosse. Les femmes, l’une après l’autre, s’avancent et baisent les yeux des morts. Le vieillard, le père, est assis, regardant la victime, immobile, silencieux. On soulève les cadavres, et le jeune couple est déposé au sein froid de la terre. Aleko les contemple à l’écart, et quand la dernière poignée de terre est jetée sur la fosse, sans dire un mot, il glisse de la pierre, et tombe sur le gazon.

Alors le vieillard :

« Loin de nous, homme orgueilleux ! Nous sommes des sauvages qui n’avons pas de lois. Chez nous point de bourreaux, point de supplices ; nous ne demandons aux coupables ni leur sang, ni leurs larmes. Mais nous ne vivons pas avec un assassin. Tu es libre, vis seul. Ta voix nous ferait peur. Nous sommes des gens timides et doux ; toi, tu es cruel et hardi. Séparons-nous. Adieu ; que la paix soit avec toi ! »

Il dit ; à grand bruit toute la horde se lève et s’empresse à quitter son campement sinistre. Bientôt tout a disparu dans le lointain de la steppe. Seulement un chariot, couvert d’un tapis déchiré, demeure en arrière sur la plaine.