Page:Mérimée - Carmen.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

meur comme est le temps chez nous. Jamais l’orage n’est si près dans nos montagnes que lorsque le soleil est le plus brillant. Elle m’avait promis de me revoir une autre fois chez Dorothée, et elle ne vint pas. Et Dorothée me dit de plus belle qu’elle était allée à Laloro pour les affaires d’Égypte.

Sachant déjà par expérience à quoi m’en tenir là-dessus, je cherchais Carmen partout où je croyais qu’elle pouvait être, et je passais vingt fois par jour dans la rue du Candilejo. Un soir, j’étais chez Dorothée, que j’avais presque apprivoisée en lui payant de temps à autre quelque verre d’anisette, lorsque Carmen entra suivie d’un jeune homme, lieutenant dans notre régiment. — Va-t’en vite, me dit-elle en basque. — Je restais stupéfait, la rage dans le cœur. — Qu’est-ce que tu fais ici ? me dit le lieutenant. Décampe, hors d’ici ! — Je ne pouvais faire un pas ; j’étais comme perclus. L’officier, en colère, voyant que je ne me retirais pas, et que je n’avais pas même ôté mon bonnet de police, me prit au collet et me secoua rudement. Je ne sais ce que je lui dis. Il tira son épée, et je dégainai. La vieille me saisit le bras, et le lieutenant me donna un coup au front, dont je porte encore la marque. Je reculai, et d’un coup de coude je jetai Dorothée à la renverse ; puis, comme